Deuil compliqué


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Dépasser le deuil ?

Dans le deuil, le problème n’est pas la mort (qui est un évènement) mais la perte d’un être cher (qui est un processus.) Curieusement, ce processus est attaché à l’idée de « faire son deuil », comme si l’on pouvait renoncer à la personne disparue. Déjà que nous manquons de mots pour exprimer l’affliction du deuil, nous contentant d’un « un être qui m’était cher est décédé » ou « j’ai perdu un être cher », sans pouvoir y accoler pudiquement notre ressenti, alors pourquoi s'infliger l'idée de l'oubli...  (la langue anglaise connait par exemple le terme grief pour définir la tristesse et la douleur causée par la mort de quelqu’un.)

 

Puisque nous parlions de processus de deuil, soyons franc,  il n’y en a pas… Sans doute le lecteur pensera malgré tout aux « stades du deuil » qui comprendraient 5 étapes successives : déni – colère – négociation –  dépression –  acceptation. Mais malheureusement, bien que cette théorie soit très populaire, elle ne porte aucune validité scientifique ; vous pouvez en savoir plus par là . Pour autant, lorsqu’une personne endeuillée vous parle de là où elle se trouve dans ces fameux « stades » ; inutile de l’en blâmer, cette croyance l’aide peut-être. Par contre, maintenant que vous savez que cette théorie n’est pas valide ; vous ne devez plus aider vos amis en vous y référant ; d’ailleurs, cela aide-t-il vraiment de savoir cela ? Le seul processus est celui-ci que nous connaissons tous et qui est sans doute le plus plat à écrire : le temps...     

 

Que peut-on penser de la mort ?

D’abord, toutes les religions ont leur idée sur la question de la mort :  elle serait liée à l’appel de notre « âme » vers un paradis ; parfois avec l’ajout d’un jugement dernier. Mais bien que la théologie soit une approche passionnante, ça n’est pas notre propos ici. Rangeons nous alors du côté de Socrate qui aurait dit « tant qu’on est là, elle n’est pas là, et lorsqu’elle advient on est plus là », ce qui nous fait reconnaitre que l’on ne peut rien penser concrètement de la mort. Pour l’humain, il n’y pas de vérité de la vie au-delà de la vie présente.

 

Penser la mort

Malgré que cet ultime moment de vie (terme évidement paradoxal) ne nous permette pas d’en parler objectivement, il est plus utile de dégager l’enseignement de ce que peut apporter pour la vie humaine le sentiment de la mort. Au-delà de l’angoisse qu’elle peut faire émerger chez nous et sa manière mixte de s’exprimer, le sentiment de mort fait aussi apparaitre un désir d’éternité qui se manifeste dans une œuvre historique : culturelle, artistique, politique, philosophique.   

 

Mais si l’on réfléchit, on voit que l’humanité à eu une naissance (progressive) et qu’elle aura aussi un fin (progressive ?), la mort fait donc partie nécessairement de la vie ; aussi cruelle soit son arrivée. Pour cette raison, on pourrait penser radicalement avec Platon, Spinoza ou Nietzche que la destination réelle de l’humanité ne peut résider que dans la présence totale de soi-même à la vie ; à chacun d’exprimer comme il lui semble bon cette volonté de vivre.     

 

Panser la mort  

Malgré tout les interrogations que nous pourrons construire autour de la mort, vivre le deuil restera toujours une situation difficile ; d’ailleurs le deuil n’est pas une maladie, et il n’est donc pas toujours nécessaire de consulter un « psy. »

 

Pour autant, chacun peut se retrouver submergé par la situation. Dans ce cas, lorsque les ruminations sont incessantes au bout de quelques mois, que les émotions négatives n’évoluent pas ou  augmentent, et que le désir de vivre ne revient pas, il ne faut pas hésiter à consulter. Lors d’un deuil qui présente des « complications » (c’est-à-dire qu’il ne progresse pas) il peut exister un cercle vicieux :  


 

La psychothérapie n’a pas pour but de faire oublier le deuil ou de passer « à autre chose », ou même de chercher à vivre la situation sans chagrin. Elle est un lieu neutre où l’endeuillé pourra élaborer ses questions et ses craintes face à un thérapeute qui lui permettra de leur donner un sens et les organiser. Plus précisément elle vise à :

  • (S’ils existent, s'occuper des symptômes associés invalidants (insomnie, anxiété,…))
  • Accepter la réalité de la perte
  • Accepter la douleur du deuil
  • S’adapter à un environnement où le défunt est absent
  • Relocaliser le défunt dans la mémoire
  • Continuer à invertir la vie

 

Le cercle vicieux initial se transforma ainsi en cercle vertueux :