Les TCC ont-elles un plan pour conquérir le monde ?


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La « Science de l’âme » n’est-elle pas un oxymore ?

Avant de comprendre si la psychologie scientifique peut supplanter les autres formes de psychologies, il est important de savoir de quoi on parle lorsque le mot « psychologie » apparait. Rapidement, l’étymologie se base sur deux racines grecques : Psyché (psukhē) qui signifie l’esprit ou l’âme et Logia (λογία) qui se rapproche de l’étude (de la parole.) La psychologie serait donc l’art d’étudier l’esprit ou l’âme, et nous voilà devant deux mots plutôt flous rationnellement et scientifiquement… Quoi qu’il en soit, chaque signification, chaque définition et chaque pratique évolue avec l’histoire de l’humanité, il ne parait donc pas très sage d’enfermer un mot à son étymologie.

 

Néanmoins, si jouer la carte de l’« Appel à la tradition » en affirmant que la psychologie est en lien avec des concepts subtils, et des notions ancestrales n’est pas très sérieux, jouer celle de l’ « Appel à l'innovation » pour défendre l’idée qu’elle ne peut plus être séparer de la science à la vue des progrès des neurosciences n'est pas plus intelligent…  

 

Toutefois, il faut l’admettre, la psychologie scientifique a fait un pas de géant ses dernières années et a pu rendre obsolètes certains concepts interprétatifs aussi bancals que nuisibles. Mais son irrésistible ascension montre des utilisations douteuses qui doivent interroger l’éthique : neuromarketing, collaboration au management scientifique, analyses cognitives et comportementales à des fins politiques… l’ambition de la psychologie scientifique doit être autant cadré que les sciences de la génétique. 

 

 

 

LES psychologies

Aujourd’hui la psychologie peut recouvrir cinq champs, aussi sérieux que fantaisistes, et aussi libres qu’institutionnalisés :

 

La psychologie spontanée : Nous cherchons tous des explications et nous avons tous besoin de prédire les événements. Qu’il s’agisse d’un mouvement adapté pour notre survie, pour atténuer une souffrance ou simplement pour le plaisir de la stimulation intellectuelle, la psychologie est une méthode à laquelle nous avons tous recours. Lorsque nous ne la maitrisons pas, le côté « naïf » de nos explications ne doit pas faire l’objet de moqueries : certains d’entre nous sont très « psychologue » dans leur manière d’analyser les choses et d’autres arrivent à comprendre parfaitement le vécu d’autres personnes.

 

Là où la chose bute c’est quand nous commençons à vouloir conceptualiser notre spontanéité, et la psychologie étant très en vogue et vite accolée à des notions analytiques obsolètes, des mouvements de développement personnel peu scrupuleux ou des théories spirituelles new-âge ; notre « naïveté constructive » du départ peut être corrompue par des analyses qui tournent en boucle, et des croyances pseudo-scientifiques/ésotériques qui font barrage à la relation : nous collons des étiquettes tout en reprochant à la science de vouloir enfermer l’humain dans des cases…

 

Pourtant, même si nous avions recours à des principes ou un sens commun pas toujours cohérents, que nous fassions certains biais ou que nous construisions certaines erreurs logiques, nous étions authentiques. De cette manière, notre perception n’était pas aveuglée par la surestimation de notre connaissance en matière de psychologie (voir effet Dunning kruger.)

 

Au quotidien, la psychologie spontanée est une chose à développer et à encourager, toute personne affirmant l’inverse n’aurait pour seul argument que celui de l’autorité. Pour une meilleure connaissance il suffit de s’approcher des bonnes notions et des bons auteurs, mais le meilleur conseil est le suivant : évitez de trop interpréter, surtout si les concepts sur lesquels vous vous basez sont flous ou censés être miraculeux

 

 

La psychologie philosophique :  Dès l’antiquité les philosophes tentent d’avoir une réflexion logique sur le sens de l’univers, de la vie et de l’existence humaine. Elle avait déjà une tendance à critiquer l’intuition, on peut par exemple conseiller la lecture du « Manuel » d’Epitecte qui montre une sagesse et une psychologie intuitive très inspirante.

 

On peut aussi y ajouter l’art de la rhétorique et l’analyse des sophismes qui sont aujourd’hui des angles très étudiés par la psychologie scientifique, et qui permettent d’avoir de véritable moyen d’auto-défense intellectuelle.

 

 

La psychologie interprétative : C’est François de La Rochefoucauld au XVIIème qui ouvrira dans « Réflexions ou sentences et maximes » l’idée selon laquelle « nos vertus [seraient] le plus souvent des vices déguisés. » L’égocentrisme serait donc latent dans toute conduite humaine. De là, on retrouva chez des auteurs l’idée que des mécanismes fondamentaux sous-jacents à tout comportement : La pulsion sexuelle pour Arthur Schopenhauer, les facteurs économiques pour Karl Marx et la volonté de puissance pour Friedrich Nietzche.  

 

C’est dans ce sillage que Sigmund Freud apparait et fera une sorte de synthèse : comme La Rochefoucauld il pense que l’humain est « narcissique » et égoïste, comme Schopenhauer il pense que la pulsion sexuelle est le moteur de toute activité humaine et comme Nietzche il pense que l’homme se ment à lui-même. Il y aurait derrière toute action, mot, projet, un désir inconscient à élucider.  

 

 

La psychologie Spirituelle : Apparu au début du XXème siècle avec un fort essor dans les 70 puis depuis les années 2000, le « New-age » est une approche spirituelle dont les concepts sont aussi vagues qu’hétéroclites, on y retrouve de la philosophie bouddhiste, de la philosophie naturaliste, une interprétation très personnelle de la physique quantique, de l'ufologie etc…

 

D’un point de vue psychologique, l’analyse est très proche des concepts de Carl G. Jung (psychanalyste dissident de Freud) qui pense que notre inconscient recouvrirait les expériences très ancienne de l’humanité, c’est-à-dire tout ce que nous étions autrefois et qu'il a momentanément oublié. Mais aussi tout ce qui est futur et que nous ignorons. Il y aurait également un inconscient collectif fait de symboles et de mythes présent « naturellement » en chacun de nous. Il faut ajouter à cela des concepts de psychologie positive galvaudés qui tirent vers un développement personnel plutôt égocentré et qui propose de développer la connaissance de soi, de valoriser ses talents et ses potentiels le tout lié par des concepts pseudo-scientifiques ou ésotériques. 

 

 

La psychologie scientifique : Au début du XXème siècle, des psychologues américains proposent l’idée que la psychologie ne serait plus l’étude de « concepts invisibles » qui habiteraient le corps et l’inconscient, mais l’observation des comportements (actions et expression corporelle), de la cognition (perceptions, souvenirs, réflexion, logique…) et des émotions (plaisir, souffrances, affects,…) La rupture capitale se trouve dans le refus d’explications inconscientes faites de pulsions, de complexes ou de symboles. La définition de l’inconscient concerne le conditionnement et la construction de schémas de pensée.  

 

Nous le voyons, le mot « psychologie » est comme le mot « psychothérapie », il appartient à tout le monde, mais on peut se les approprier avec plus ou moins de bonheur… 

 

La science est le meilleur moyen pour savoir si une psychothérapie fonctionne (?)

Les TCC (Thérapies comportementales et cognitives) sont un modèle de soin psychique qui se base sur les découvertes faites par les chercheurs en neurosciences. Pour cette raison, elles sont évaluées à partir d'études cliniques qui valident ou rejettent les techniques analysées. Ainsi, un praticien en TCC - s'il est sérieux - doit se tenir au courant régulièrement de l'état de la science pour l'adapter à sa pratique.

 

En partant de là, une conclusion peut apparaitre : si je consulte un praticien qui a des méthodes scientifiques, j’ai plus de chances d’aller mieux. La chose se tient. 

Pourtant : est-il sûr que la science puisse traiter tous les maux psychiques ?

 

 

N'est-il pas inquiétant de penser que seule la science puisse aider la psyché d'un humain ? (!)

Qu’une psychothérapie ne soit pas scientifique ne veut pas dire qu’elle soit invalide. En effet, les méthodes qui font intervenir la sensibilité et la subjectivité ne peuvent pas être mesurées puisqu’elles s’occupent des angoisses existentielles ou des interrogations profondes. Ces problématiques n'ayant rien à voir avec un trouble psychique, la science est sans doute aussi efficace que des méthodes qui ne le sont pas.

 

Mais si on pense vraiment qu’il faut imposer la science dans la prise en charge de la psyché humaine, posons nous les questions suivantes :

  • Les patients souhaitant faire un travail personnel devraient se passer un jour de "psys" car on jugera qu’ils n’ont pas de « vrais » problèmes ?
  • A partir de quelle limite nous pouvons juger que la part de subjectivité humaine est trop présente dans une thérapie pour pouvoir conclure qu’elle n’est pas assez scientifique pour être thérapeutique ?
  • Si l’avenir des sciences humaines est d’être une science dure, la philosophie devra-t-elle donner des preuves scientifiques pour pouvoir continuer à être enseignée ?
  • Comment peut-on évaluer une crise existentielle ?
  • Et si on peut tout évaluer, quelle idée nous faisons-nous de l'humain si nous déterminons la valeur de ses doutes et de ses interrogations? 

Démêler les malentendus

Pour être encore plus clair et éviter que cette argumentation devienne un moyen de légitimiser tout ce qui n'est pas scientifique, il convient de faire la différence entre science, non-science et pseudo-science ; à ce ce propos, il est important de lire ce petit texte.

Quoi qu'il en soit, à la vue de ses limites et de la complexité humaine, les TCC ne sont pas en mesure de conquérir le monde telle une multinationale aux relents totalitaires ou un petit dictateur aux grandes oreilles. Dormons tranquille.