Les complexe d'Œdipe ou le dogme psychanalytique


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Une théorie populaire

Sigmund Freud a eu ce talent de remuer la bourgeoisie autrichienne de son époque en mettant la sexualité comme sujet central du fonctionnement psychique humain. C’est de là qu’est né progressivement le « complexe d’œdipe », concept fondamental pour la théorie freudienne et qui vise a expliquer comment l'inceste est censurée chez l'humain ; il fait parti de l'un des stades du développement de l'enfant (dites théories sexuelles.) Encore aujourd’hui, ce concept est très présent chez les professionnels de la santé mentale, expliquant – selon eux – les problèmes de sommeil, de concentration, d’apprentissage ou de comportement ; sans pour autant proposer de solution aux problèmes analysés… Mais de quoi s’agit-il ? Et sur quoi repose ce « mythe » ?

 

La version populaire

Entre deux et cinq ans, le jeune garçon tombant amoureux sa mère, il entre alors en conflit avec son père ; cela construit alors une menace de castration de la part de ce dernier, tandis que l’enfant a des comportements hostiles envers son père. Pour les petites filles, la situation reste globalement symétrique.

 

La version originale

Le petit garçon aurait une sorte de pulsion instinctive qui le pousserait à vouloir tuer son père afin d’avoir un rapport sexuel avec sa mère. Pour cette raison, en montrant son sexe à cette dernière il tenterait de la séduire.

 

Quant à la petite fille, son complexe d’œdipe se jouerait différemment car toute sa vie elle souffrirait de ne pas avoir de pénis. Par cette raison – et là il faut s’accrocher – les petites filles sont non seulement consentantes des actes incestueux mais les provoquent puisqu’elles désirent avoir ce qu’elles n’ont pas [01]

 

D’où vient cette idée ?

Dans l’une des correspondances (1897) avec son ami médecin Wilhelem Fliess, Freud explique avoir ressenti du désir lorsqu’à l’âge de deux ans, il avait vu sa mère nue. Dans le fil de cet échange, il généralisera ce désir à tous les enfants [02] : on peut évidemment douter ici de la méthodologie du fameux neurologue autrichien…

C’est seulement en 1923 qu’il conceptualisera vraiment le « complexe d’œdipe. » A ce moment-là, sa théorie ne fait pas l’unanimité dans le cercle psychanalytique ; certains l’ont revisité (Klein, Ferenczy), d’autres l’ont ignorés (Rank, Adler)   

 

Le « complexe d’œdipe »  dans la culture et en anthropologie ?

Je me souviens que lorsque j’étais étudiant, un des mes maitres de stage était un psychologue d’orientation psychanalytique ; alors que je venais d’assimiler les fondements de cette théorie, je m’intéressais aussi à « l’anti-œdipe » de Gille Deleuze et Felix Guattari. J’avais alors posé cette simple question : « j’ai lu des auteurs qui remettent en question le complexe d’œdipe, comment peut-on être sûr qu’il soit réel ? », sa réponse fût sans appel « on ne peut pas le critiquer, on l’observe chez tous les petits garçons du monde… » Cette réponse aurait mérité de demander quelques sources, mais lorsqu’on est étudiant, on ferme sa gueule.

Pourtant, mon « grand maître » aurait dû faire ce que ne font pas non plus un certain nombre de professionnels de la psychothérapie : toujours remettre en question ce que l’on croit savoir. Ainsi, en se référant à différentes disciplines, il aurait appris que :

 

Culturellement

Aucun mythe, aucune histoire et aucun conte de fée ne fait référence à ce problème, il n’y a donc aucune trace de ce que Freud pensait être un « parricide originel » qui serait « universel et aux origines de la religion » (lire « Totem et Tabou ») ; du coup, l’idée devenue commune selon laquelle « il faut tuer le père » serait donc fausse [03].

 

Empiriquement

Dans l’observation, aucun parent n’observe de désir sexuel mis à part la découverte et la curiosité génitale. Lorsque cette observation a lieu, c’est qu’il s’agit de parents déjà informés sur le sujet du « complexe d’œdipe » et cela va biaiser leur observation. D’ailleurs, notons qu’une étude faite dans plusieurs pays montre l’inverse de la proposition de Freud : les enfants montreraient une préférence envers le parent du même sexe (Goldman & Goldman [04])

 

Bibliographie : fin de partie…

De nombreuses études faites pour observer la relation entre « complexe d’œdipe » et psychopathologie montrent d’abord une difficulté à se référer à une définition claire du concept, mais surtout, lors d’une recherche bibliographique de grande envergure, Seymour Fisher et Roger P. Greenberg  [05] n’ont pu établir de corrélation entre perturbation psychique et « problème oedipien » : ce qui infirme la notion de « névrose » (ce mot souvent utilisé au quotidien est en lien le « complexe d’œdipe » : une névrose apparaitrait lorsque « l’Œdipe » serait mal ou pas résolu.)

 

Ethologiquement

Chez les chimpanzés les femelles copulent avec tous les mâles mais très rarement avec leurs fils adultes, cela pour éviter le croisement génétique [06][07]. Mais surtout, l’ « effet Westermarck » (venant de Edward Westermarck (1862-1939)) qui consiste en un mécanisme naturel d'évitement de l'inceste a été confirmé dans plusieurs études (autant chez l’animal que l’humain ; pour ce dernier la cause de l’inceste n’a donc rien d’évolutionniste) [08][09][10][11][12]

 

Mécanisme de défense de la psychanalyse

Face à ces études, les tenants de la psychanalyse freudienne contournent les conclusions en expliquant que le conflit œdipien est en fait intériorisé et donc pas vraiment observable. Pour répondre à cette remarque, partons d’une opinions de l’anthropologue Pierre Louis van den Berghe « la raison pour laquelle je considère que « Totem et Tabou » [livre de Freud expliquant le complexe d’œdipe] est une fable, comme l’ensemble de l’édifice psychanalytique, est qu’il repose sur des faits non prouvés et non réfutables [13] », la fin de cette citation est très importante du point de vue des théories scientifiques car elle fait référence au « principe de réfutabilité » qui explique la chose suivante : une affirmation est scientifique si on peut imaginer des observations, des études qui, si elles sont réalisées, rendent vrai ou fausse cette affirmation. Autrement dit, une théorie est scientifique uniquement si elle peut être invalidée ou validée par d’autres études reprenant les mêmes méthodologie.

 

Or, en affirmant que « le conflit œdipien n’est pas forcément observable » la psychanalyse échoue a apporter une preuve convaincante. Ajoutons – et cela est très important – qu’elle exprime le même argument pour toutes les théories qu’elle avance, parfois à partir de postulats indémontrables ou d'inversion de la charge de la preuve. Et voilà pourquoi une telle affirmation nous donne une information sur ses fondations : en science, on peut prouver que quelque chose existe car il suffit d’y apporter des preuves, mais on ne peut pas prouver que quelques chose n’existe pas puisqu’on ne peut pas tester l’invisible, et c’est sur cette dernière option que se déplace la psychanalyse et se range ainsi du côté de la « croyance. »  

 

La psychanalyse n’est pas scientifique, mais est-ce vraiment un problème ?

La psychologie ne peut pas se réduire à une approche scientifique, j’ai écris à ce sujet par ici. Néanmoins, qu’une approche non-scientifique veuille s’approprier les choses de la sciences en réfutant toute découverte n’allant pas dans son sens, c’est que nous pouvons appeler pseudo-science.

 

Pour cette raison, si nous avons tous une dette envers la psychanalyse dans son approche subjective de l’individu, sa démarche ontologique (interrogation sur l’ « être ») et son postulat d’un inconscient qui exprimerait autre chose que ce que nous pensons (les neurosciences ont démontré cette possibilité, mais sans rapport avec la notion de désir ou de symbole), les explications qu’elle fournit au sujet de la psychopathologie sont obsolètes et ne devraient plus être enseignées en faculté ! La psychanalyse deviendrait alors une approche qui aurait vocation à interroger l’individu sur lui-même, et éventuellement être un accompagnement pour les personnes souffrant d’un trouble psychique, mais certainement pas un traitement. 


[01] Dolto F., Ruffo A., L’enfant, le juge et la psychanalyste, p. 11,33,34,54 & 81

[02] J’ai trouvé en moi des sentiments d’amour envers ma mère et la jalousie envers le

père, et je pense maintenant qu’ils sont un fait universel de la petite enfance. Si c’est

ainsi, on comprend alors la puissance du roi Œdipe. »

[03] Notons d’ailleurs que cette dernière notion fait souvent plus un lien avec l’idée de se mettre à distance de l’autorité parentale pour grandir que ce que le terme ceux dire exactement : tuer le père pour avoir une relation sexuelle avec sa mère… 

[04] Goldman, R. & Goldman, J., 1982. « Children’s sexual thinking. A comparative study of children aged 5 to 15 years in Australia, North America, Britain & Sweden », Londres, Routledge & Kegan, p.485

[05] Fisher, S. & Greenberg, R. (1977) The scientific credibility of Freud's theories and therapy. Basic Books, p. 218.

[06] Dixson 1998

[07] 2004 , “Inbreeding avoidance in primates”, in A.P. Wolf & W.H. Durham (eds), Inbreeding, Incest and the Incest Taboo : The State of Knowledge at the Turn of the Century, Stanford, Stanford University Press, pp. 61-75.

[08] Shepher, J., « Mate selection among second generation kibbutz adolescents and adults: Incest avoidance and negative imprinting », Archives of Sexual Behavior, no 1,‎ 1971, p. 293-307.

[09] Shepher J., Incest : A Biosocial View, New York, Academic Press, 1983.

[10] Wolf, A.P., « Childhood association, sexual attraction, and the incest taboo: A Chinese case », American Anthropologist, no 68,‎ 1966, p. 883-898.

[11] Wolf, A.P., « Childhood association, sexual attraction: A further test of the Westermark effect hypothesis », American Anthropologist, no 72,‎ 1970, p. 503-515.

[12] Wolf, A.P., Sexual Attraction and Childhood association : A Chinese Brief for Edward Westermark, Stanford, Stanford University Press, 1995.

[13] Van den Berghe, P. L., 1987. « Comment on « The westemark-Freud incest theory debate » from D. H. Spain », current Anthropology, 28, p. 638-639