La dialectique peut-elle casser des briques ? *


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Un art de la nuance

A l’origine la dialectique consiste en un art du dialogue entre deux personnes qui n’ont pas la même opinion ; c’est l’opposition des thèses qui est le moteur de la discussion. Dans ce sens positif, elle est l’art de construire connaissance connaissance vraie : il faut avoir été certain d’une opinion (thèse) puis avoir reconnu le bien-fondé de l’opinion contraire (antithèse) pour connaitre la vérité d’une chose (synthèse.) La dialectique se joue aussi dans la construction de notre personnalité par un jeu de confrontations à autrui et par l’introspection : ne pouvant comprendre les choses du premier coup notre savoir est progressif et dialectique.

 

En outre, elle n’est pas seulement une manière de comprendre mais aussi une manière d’être, c’est un peu l’art de la nuance. En outre, elle a aussi fait l’objet d’études plus larges par Hegel puis Marx qui aboutissent à l’idée que chaque système politique construit son inverse pour aboutir à une synthèse : ça n’est pas notre propos ici.

 

 

Un art de la nuance

A l’origine la dialectique consiste en un art du dialogue entre deux personnes qui n’ont pas la même opinion ; c’est l’opposition des thèses qui est le moteur de la discussion. Dans ce sens positif, elle est l’art de construire une connaissance vraie : il faut avoir été certain d’une opinion (thèse) puis avoir reconnu le bien-fondé de l’opinion contraire (antithèse) pour connaitre la vérité d’une chose (synthèse.) La dialectique se joue aussi dans la construction de notre personnalité par un jeu de confrontations à autrui et par l’introspection : ne pouvant comprendre les choses du premier coup notre savoir est progressif et dialectique.

 

Lorsque dialectique devient un dogme : le problème des psychothérapies analytiques

Dans son livre « Critique de la raison dialectique » [01], Sarte rappelle que la dialectique doit être connectée à la pratique et au monde réel, sinon elle menace de sombrer dans le dogmatisme. On peut par exemple penser aux coupure qu’il existe entre la militance politique aux énoncés factuels, face à la sphère de l’intellectualisme critique qui théorise cette même militance, et qui freine parfois  la construction d’une lutte concernée par le réel, et non par le concept.

 

Cette idée nous met face aux limites des psychothérapies de type analytique car elles peuvent également rendre inerte l’action (la psychothérapie) à force d’une perception de la psyché qui est hors sol. Celles-ci se fondent sur l’idée que notre construction psychique serait traversée par des aspirations, des pulsions, des symboles et des  tendances - toutes d'ordre inconscient - qui exprimeraient des désirs que nous ignorons. Les hypothèses sur « cet-inconscient-là » peuvent varier suivant le psychanalyste qui est pris pour référence par le « psy » analyste. On peut rapidement citer trois des théoriciens les plus connus :

  • Sigmund Freud : l’inconscient se livrerait à un combat perpétuel entre le « Moi » qui est conscient, et le « Ça » qui est inconscient. Tout deux luttent entre le principe de réalité (adaptation à la réalité et à ses exigences) et le principe de plaisir (satisfaction de pulsions sexuelles.) S’ajoute à cela, le « Surmoi » qui vient peser sur le « Moi » pour renforcer la censure et ne recevoir que des pensées acceptables.
  • Jacques Lacan : Là où le conscient est formé de représentations de mots, l’inconscient serait formé de représentations de phonèmes et de choses souvent vécues avant la parole, durant la petite enfance. Il y aurait donc le « signifié » qui est la représentation mentale d’une chose (le conscient), et le « signifiant » qui est l’image acoustique d’un mot (l’inconscient.) Ainsi, nous ne cesserions de parler consciemment de choses qui laisseraient échapper des significations inconscientes à travers les associations de mots que nous faisons. Par exemple, ce que nous exprimons avec des mots (signifié) est en fait l’expression de nos maux (signifiant.) Ou lorsque nous avons une maladie (signifié) il faut s’intéresser à ce que le  « mal a dit » (signifiant) ; ce qui suggère que toute pathologie cache une expression de l’inconscient.   
  • Carl G. Jung : Notre inconscient recouvrirait les expériences très ancienne de l’humanité, c’est-à-dire tout ce que nous étions autrefois et qu'il a momentanément oublié. Mais aussi tout ce qui est futur et que nous ignorons. Il y aurait également un inconscient collectif fait de symboles et de mythes présent « naturellement » en chacun de nous.

On le voit, il n’y a pas un inconscient, mais « des inconscients » (signifiant ou signifié ? [03] ), et cela amène forcément à des descriptions vagues et « l’inconscient » devient une fourre-tout pour tout analyser.

 


 

Nous l’avons écrit plus haut, la dialectique doit être dans l’action et non s’ancrer dans l’analyse inerte : c’est l’expérience de l’engagement qui permet de sa rapprocher du monde tangible. Or, la technique de « libre association » dans lequel le patient est invité à parler de tout et n’importe quoi pour faire émerger les éléments enfouis de son inconscient permet-elle un accouchement de l’esprit ? Question rhétorique puisque la réponse est non : en recherchant ce qui se loge derrière la parole du patient, cela crée une boucle de pensée qui revient toujours au même point, et dans ce discours l’analyste et l'analysant (le patient) finissent par être rapidement biaisées (illusion de série, erreur de conjonction, effet barnum, bais de confirmation, biais d'autosatisfaction,...) On ouvre donc la boite de pandore, on démêle les malentendus et le bénéfice pour les patients de pouvoir mettre en mot leur souffrance est indéniable [04] . Pourtant, ce que Freud avait nommé « Névrose de répétition » est aujourd'hui validé par la science : une fois conditionné à un schéma, nous répéterons sans nous apercevoir des situations de vie qui seront celles qui nous souhaitons pourtant fuir, MAIS :

  • Premièrement : à force de revenir sur chaque élément de vie et lui coller le sens du problème originel, n’y a-t-il pas un risque de construire des faux souvenirs et – à force de sur-analyse - remmêler ce qui a été démêlé au départ ? Comment soigner un problème de pensées obsédantes souvent lié à des schémas traumatiques lorsque l’on demande au patient de revenir sans cesse sur son problème ou de lui laisser analyser toujours la même chose.
  • Secondement : à quel moment est-il proposé au patient de sortir concrètement de ce schéma plutôt qu’en rester spectateur ? Car à force de « se raconter » et revenir toujours au traumatisme originel,  en quoi la souffrance devient-elle un simple souvenir comme le prétendent les psychanalystes ?
  • Troisièmement, en se plaçant hors des expériences concrètes du patient, on l’écart d’une dialectique qui aurait pu mettre en place des prises de consciences existentielles et construire des stratégies de vie adaptées ; la subjectivité de l'expérience faisant également partie du travail. Notons pourtant que la psychanalyse se targue de respecter la « singularité du sujet » là où elle écarte de le discours conscient des patients en se focalisant sur « ce qui n’est pas dit. »   

 

Egalité, balle au centre

Pour revenir à Sartre, une approche existentialiste a trait à la liberté individuelle et au caractère non déterministe des trajectoires personnelles et sociales. Ainsi, chaque individu ne peut pas se résumer, aux contingences de ses traumatismes, d'un mécanisme inconscient, de ses schémas de pensée et de sa classe sociale. On le voit, là où les théories psychanalytiques modernes semblent vouloir lutter – à raison –  contre les doctrines du rendement et de l’évaluation systématique renvoyant l’individu à des étiquettes et l’écartant de ce qu’il est vraiment, et bien ces mêmes théories ne produisent aucune voie vers l'affranchissement (revoilà la tension entre dialectique du réel et dialectique du concept.) Les notions de production et l'évaluation des efficacités ne sont pourtant pas systématiquement liés à celle de l'exploitation.  

 

Pour autant, ce petit texte n’a pas vocation à incriminer la démarche psychanalytique pour « vendre » les TCC (Thérapie Cognitivo-Comprtementale) ; cela serait à l’inverse de l’esprit de la dialectique. D’autant que même si nous pratiquons cette dernière approche thérapeutique, nous en connaissons aussi ses limites éthiques : 

 

Récemment, une nouvelle approche TCC propose une technique de « Thérapie comportementale dialectique » (TCD.) Quelques études semblent montrer qu’elles sont particulièrement favorables dans les troubles de la personnalité. Les objectifs sont les suivants :

  • Améliorer les comportements et capacités comportementales psychosociales du patient.
  • Promouvoir sa motivation en se basant sur ses propres compétences, et ce, grâce à la réduction des émotions négatives.
  • Apprendre au patient à maîtriser son environnement naturel et à renforcer ses comportements fonctionnels.

Bien sûr, concernant la pathologie, il est évident qu’atténuer les symptômes du patient est essentiel. Pour autant, bien que le mot « dialectique » appartienne à tout le monde et qu’il ait évolué avec l’histoire de la philosophie et de la politique, il est troublant que le terme s’écarte de la notion d’émancipation individuelle et qu'il soit rattaché ici à celle de productivité (la dialectique comme simple technique ; rendons grâce aux psychanalystes de nous mettre en garde contre ces dérives.) En outre, rappelons que les sciences cognitives n’ont pas vocation à être spécifiquement liées aux TCC, ainsi, leurs découvertes peuvent toujours permettre l’affranchissement des concepts trop rigides et des méthodes stakhanovistes [05] ! Les thérapeutes qui ne cessent de légitimiser leur pratique au nom de la preuve scientifique devraient s’interroger sur leur représentation de l’humain et de sa complexité

 


 

Pour conclure, il semble bien que la dialectique puisse casser des briques, mais c’est à chacun de trouver celles qui lui convient : pavés de manifestation, construction de parpaings à la chaine mais en « pleine conscience », bâtisse de murs intérieurs dans le but de placer les bonnes limites etc… 


* Titre clin d'œil au titre du film situationniste "La rhétorique peut-elle casser des briques"  de René Viénet (voir )

[01] Citation : « L’échec du dogmatisme dialectique nous a montré que la dialectique comme rationalité devait se découvrir dans l’expérience directe et quotidienne, à la fois comme liaison objective des faits et comme méthode pour connaître et fixer cette liaison » Edition Gallimard, page 130

[02]  L’expression de la parole n'est pas l’apanage des psychothérapies analytiques.

[03]  Ah ah ah, explication de la blague : dire "des inconscients" (signifié) pour parler des théories de l'inconscient peut aussi vouloir dire que les théoriciens cités sont "des inconscients" (signifiant) 

[04]  L’expression de la parole n'est pas l’apanage des psychothérapies analytique

[05] Le stakhanovisme était une campagne de propagande soviétique en URSS faisant l'apologie d'un travailleur très productif et dévoué à son travail.